Financement de Daech: au tribunal, les ex-cadres de Lafarge détaillent la chaîne de décision syrienne

La rédaction avec
17:2721/11/2025, Cuma
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L'avocate de l'ancien directeur général de Lafarge, Bruno Lafont, Jacqueline Laffont, s'adresse aux médias lors de la première journée du procès du groupe cimentier français Lafarge et de huit personnes, dont d'anciens dirigeants, accusés de financement du terrorisme en Syrie, au tribunal de Paris, le 4 novembre 2025.
Crédit Photo : DIMITAR DILKOFF / AFP
L'avocate de l'ancien directeur général de Lafarge, Bruno Lafont, Jacqueline Laffont, s'adresse aux médias lors de la première journée du procès du groupe cimentier français Lafarge et de huit personnes, dont d'anciens dirigeants, accusés de financement du terrorisme en Syrie, au tribunal de Paris, le 4 novembre 2025.

En France, dans le cadre du procès où Lafarge est jugé pour "financement d’une organisation terroriste", le tribunal a entendu cette semaine les déclarations des accusés concernant leurs liens avec le groupe cimentier.

Le procès, qui concerne Lafarge en tant que personne morale ainsi que huit anciens responsables, a repris le 18 novembre devant le tribunal correctionnel de Paris après une pause de deux semaines.


Au cours des trois derniers jours d’audience, la présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez, a interrogé les accusés sur la manière dont ils avaient rejoint l’entreprise et sur leurs relations avec la filiale syrienne de Lafarge.


Bruno Pescheux, PDG de Lafarge Cement Syria (LCS) entre 2008 et 2014, a rappelé qu’après le début du conflit syrien, la France avait recommandé dès 2012 à ses ressortissants de quitter le pays. Il a expliqué qu’à partir de cette même année, les activités de LCS étaient suivies depuis l’Égypte et qu’un comité de crise avait été mis en place. Selon lui, les réunions sont rapidement devenues quotidiennes.


Il affirme avoir alerté la direction sur les risques, proposé différentes options, y compris l’arrêt des opérations en Syrie, et demandé un changement de poste. La réponse qu’il dit avoir reçue était "On continue". Sa mission consistait alors, selon lui, à assurer la sécurité du personnel et le fonctionnement de l’usine.


Son successeur, Frédéric Jolibois, PDG de LCS entre 2014 et 2016, a indiqué n’avoir eu que quelques jours pour accepter le poste, qu’il a commencé sans connaître pleinement les conditions dans la région.


Christian Herrault, directeur général adjoint chargé des opérations de 2012 à 2015, a affirmé avoir interdit à Pescheux de se rendre à Damas après avoir appris ce déplacement via un fonctionnaire de l’ambassade de France en Jordanie.


Jacob Waerness, ancien des services de renseignement norvégiens et employé de LCS entre 2011 et 2013 en tant que responsable de la sécurité, a témoigné des difficultés croissantes de déplacement. Il a décrit un "vide sécuritaire" après le retrait des forces du régime Assad de la zone de l’usine.


Ahmad Al Jaloudi, ancien agent du renseignement jordanien devenu employé de la sécurité chez Lafarge en 2013-2014, a expliqué qu’il avait dû obtenir l’autorisation de son service pour travailler en zone de conflit. Il affirme avoir transmis à sa hiérarchie, notamment à Jean-Claude Veillard, des informations utiles concernant des prisonniers étrangers détenus par des groupes armés, informations qui auraient alimenté des échanges entre Lafarge, la DGSI et le ministère français de la Défense.


Bruno Lafont, PDG du groupe de 2006 à 2015, s’est dit surpris de découvrir, en lisant le dossier, "certaines failles" dans le système de supervision de LCS. Il a également déclaré qu’il ne fallait pas "exagérer les motivations financières" ayant conduit au maintien de l’usine en Syrie.


Selon lui, les informations sur la situation locale lui seraient parvenues trop tard: lorsqu’il a décidé de fermer le site, le 27 août 2014,
"c’était probablement trop tard".

Le tribunal a aussi entendu Amro Talep, accusé d’avoir servi d’intermédiaire entre Lafarge et des fournisseurs liés à des groupes armés, tandis que Firas Tlass, soupçonné de liens similaires, était absent.


Le contexte judiciaire du dossier a été rappelé: en 2021, l’agence Anadolu avait publié des documents attestant que Lafarge avait continué à financer l’organisation Daech tout en en informant les services de renseignement français.


Plusieurs dirigeants, dont Bruno Lafont, avaient été mis en examen en 2017 pour "financement du terrorisme".


L’accusation de
"complicité de crimes contre l’humanité"
, annulée en 2019, a été rétablie par la Cour de cassation en 2021. En janvier 2024, la Cour de cassation a confirmé la poursuite de l’instruction.

En octobre 2024, les juges d’instruction ont décidé de renvoyer Lafarge et quatre anciens dirigeants devant le tribunal pour financement d’une organisation terroriste et violation de l’embargo européen.


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