Bruxelles et Damas : le nœud se desserre

10:4930/08/2024, Cuma
Yahya Bostan

Les développements régionaux et mondiaux ont provoqué un véritable tsunami, impossible à ignorer. D'un côté, la guerre en Ukraine, de l'autre, le génocide perpétré par Israël à Gaza, ainsi que les événements qui en découlent, bouleversent les certitudes. Les acteurs politiques abandonnent leurs politiques jugées immuables. Même les problèmes devenus insolubles semblent trouver des solutions. Il était inévitable que ce climat affecte les relations Türkiye-UE. C’est désormais le cas. Le ministre des

Les développements régionaux et mondiaux ont provoqué un véritable tsunami, impossible à ignorer. D'un côté, la guerre en Ukraine, de l'autre, le génocide perpétré par Israël à Gaza, ainsi que les événements qui en découlent, bouleversent les certitudes. Les acteurs politiques abandonnent leurs politiques jugées immuables. Même les problèmes devenus insolubles semblent trouver des solutions.


Il était inévitable que ce climat affecte les relations Türkiye-UE.
C’est désormais le cas. Le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan a été invité, après cinq ans, à la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l'UE. Cette réunion vise à coordonner les stratégies de politique étrangère et de sécurité de l'UE, un enjeu important. Mais ce qui l'est davantage, c’est que cette invitation pourrait être le point de départ d’un nouvel élan pour les relations entre Ankara et Bruxelles. Si elle est bien gérée, d'autres initiatives suivront.

Pourquoi l’UE a-t-elle décidé d’améliorer ses relations avec Ankara de manière progressive? Cette décision, prise par le Conseil de l'UE en avril dernier, n’a pas eu beaucoup d’écho en Türkiye. Cependant, elle a été motivée par deux facteurs :
la perspective du retour de Trump à la présidence des États-Unis et la menace croissante de la Russie en raison de la guerre en Ukraine.
Ces deux éléments ont poussé l'UE à chercher une
"autonomie stratégique"
vis-à-vis des États-Unis. La diplomatie équilibrée de Türkiye en Ukraine a rehaussé son statut aux yeux de l'UE et des États-Unis, contredisant les prévisions.

Les pays moteurs de l'UE, cherchant l’autonomie, discutent du renforcement de l’industrie de l’armement, d'un nouveau bouclier nucléaire et d'une nouvelle structure de commandement. Dans le même temps, une nouvelle stratégie industrielle de défense axée sur la production en Europe a été dévoilée. Plusieurs dossiers bilatéraux restent sur la table, comme l'union douanière, la migration et les visas. Cependant, les développements montrent que l’Europe s'intéresse particulièrement à la sécurité et souhaite inclure Türkiye dans son architecture sécuritaire :


Türkiye a été intégrée au projet de bouclier aérien européen. Les États-Unis cherchent à utiliser les capacités de Türkiye pour fournir des canons automoteurs à l'Ukraine. Le ministre polonais de la Défense a annoncé la formation d’une
"armée de drones"
et une délégation a visité le Centre national de technologie Özdemir Bayraktar.

Bien que ces exemples soient nombreux, des obstacles subsistent. Les sanctions imposées par l'UE à Türkiye en 2019 à cause des tensions en Méditerranée orientale sont toujours en vigueur.
L'Allemagne utilise ces sanctions comme prétexte dans de nombreuses situations.

Le président Erdoğan l'a affirmé :
"Ils traînent des pieds sur la question des Eurofighters. Les turbines nécessaires pour la centrale nucléaire d'Akkuyu restent bloquées en douane. Ils empêchent la vente de certaines machines utilisées dans les frégates."

L'Allemagne et la France tentent de subordonner les relations entre Ankara et Bruxelles aux dossiers chypriote et méditerranéen. Cependant, Ankara n’a aucune intention de faire marche arrière sur ces questions (L'incident récent au large de la Crète en est la preuve).


Malgré ces obstacles, le climat reste positif. Mes sources sont optimistes et estiment que les sanctions de 2019 pourraient bientôt être levées. Suite à la visite du ministre Fidan à Bruxelles, l'Allemagne pourrait rapidement lever le blocage sur les Eurofighters.
Il existe des signes et des attentes en ce sens. Alors que des pays comme les États-Unis, le Canada et la Suède ont déjà abandonné cette position, il semble insoutenable pour l'Allemagne, locomotive de l'UE, de persister dans les sanctions.

Damas lève ses conditions pour le dialogue


Le second acteur que les circonstances régionales ont contraint à changer de position est le président syrien Bachar el-Assad. Le génocide perpétré par Israël à Gaza et la perspective d’une extension du conflit dans la région inquiètent à la fois Ankara et Damas. La tentative du PKK d'organiser des élections locales dans le nord de la Syrie, visant à établir un État, revient à une encerclement de la Syrie par Israël au sud et au nord (Étonnamment, cette question n’a pas été évoquée : l’organisation terroriste avait repoussé ses pseudo-élections au 18 août, mais elles n'ont finalement pas eu lieu. J'ai l'impression qu’il s’agit d’un changement de stratégie, probablement orchestré par les États-Unis. J’y reviendrai dans un prochain article.)


C’est dans ce contexte que le processus de dialogue Ankara-Damas, encouragé par la Russie, a débuté. Initialement, le régime syrien avait exigé le retrait des forces turques de Syrie comme condition préalable à tout dialogue. Ankara a rejeté cette demande. Par la suite, il a été suggéré que Türkiye manifeste une volonté de retrait, mais Ankara a répondu que cela serait impossible tant que la menace immédiate ne serait pas éliminée. Ce durcissement de la position syrienne a laissé croire à l'échec du dialogue. Certains observateurs estimaient même que le processus était terminé. J'avais écrit alors :
"Les informations que je reçois ne vont pas dans ce sens"
(Le dialogue Ankara-Damas va-t-il échouer avant même de commencer ? Juillet 2024).

Les événements m'ont donné raison. Le président syrien Bachar el-Assad a fait sa déclaration la plus claire à ce jour concernant le dialogue :


Il n'est pas vrai que nous n'entamerons pas de pourparlers tant que Türkiye n’aura pas retiré ses forces.

Cela signifie que le processus de dialogue n’est plus bloqué.
Plusieurs options sont envisagées quant au lieu et aux modalités des négociations. Comme mentionné dans mes précédents articles, le scénario le plus probable serait que les pourparlers se tiennent à Bagdad, avec un mécanisme établi au niveau des ministres adjoints.
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