La notion de séparatisme, omniprésente dans la sphère médiatique comme politique depuis 2020, n’en finit plus de faire polémique.
Surfant ouvertement sur l’assassinat terroriste du professeur d’histoire, Samuel Paty, en octobre 2020, à la sortie du collège où il enseignait dans les Yvelines (région parisienne), Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté, annonçait le déploiement de ce fonds, dès avril 2021.
Mais deux ans plus tard, la télévision publique, qui s’est penchée sur l’utilisation de ces sommes astronomiques, et sur les structures qui en ont bénéficié, fait état d’un bien étrange mode d’attribution et d’un fonctionnement qui soulève de nombreuses questions.
Des conditions d’attribution opaques
Comme pour l’attribution de n’importe quelle subvention, le CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation), qui pilote le "Fonds Marianne", a publié un appel à projets à échelle nationale.
Si pour la plupart des associations et organisations bénéficiaires, les montants ne dépassent pas les 100 000 euros, quatre associations ont attiré l’attention, avec des financements qui avoisinent, ou dépassent les 300 000 euros.
Face aux soupçons suscités par une telle opacité, la députée LFI (la France insoumise), Sophia Chikirou, a adressé, dès novembre, une question au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, restée lettre morte malgré une relance le 23 mars dernier.
Quelle utilisation de l’argent public ?
La question de l’opacité du mode d’attribution, a fini par soulever une autre problématique: celle de l’utilisation de ces fonds, par certaines associations dont l’une en particulier, est administrée par un proche de Christian Gravel et ardent défenseur d’une vision très restrictive de la laïcité: Mohamed Sifaoui.
Parmi les quatre associations ayant décroché les plus grosses subventions, l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire (USEPPM), est celle qui culmine en tête de liste avec 355 000 euros.
Présidée par l’entrepreneur Cyril Karunagaran et administrée par Mohamed Sifaoui, l’association a été financée dans le cadre d’un projet phare: le collectif ILaïc.
Les deniers publics ont servi à ce collectif, qui bénéficie d’une visibilité proche du néant sur les réseaux sociaux, à produire des visuels photos et vidéos, très peu reluisants.
Sur YouTube, le projet aux 355 000 euros affiche 21 abonnés, pour 13 vidéos dont certaines ont moins de 30 vues au compteur, tandis qu’il comptabilise 5 amis sur Facebook, et 144 abonnés sur Instagram.
Mais au-delà de ce maigre bilan, le très controversé Mohamed Sifaoui, et Cyril Karungaran, sont mis en cause par France 2 et Marianne, preuves à l’appui, pour s’être versé des rémunérations très conséquentes, alors que les statuts de l’association mentionnent noir sur blanc que leurs activités ne peuvent faire l’objet d’un versement de salaire.
Face aux révélations du service public télévisuel, la nouvelle ministre déléguée à la Citoyenneté, Sonia Backès, a fait savoir, début avril, à l’antenne de France Info, qu’un signalement avait été fait au procureur de la république de Paris par Christian Gravel, pour qu’une enquête soit diligentée.
Mais l’affaire, qui met déjà en difficulté l’Exécutif, revêt désormais une toute autre ampleur, avec la découverte de publications, en pleine campagne présidentielle, de nombreux contenus subventionnés par l’Etat dans le cadre de ce "Fonds Marianne" pour s’attaquer aux dissidents d’Emmanuel Macron.
D’autres candidats à la présidentielle, dont Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour ont eux aussi été vigoureusement attaqués par de nombreuses publications en ligne, produites par l’une des associations subventionnées officiellement dans le cadre de la lutte contre le séparatisme et avec pour mission de défendre les valeurs de la République.
À noter que le détournement de cette subvention pour servir un candidat ou en dénigrer d’autres, peut s’apparenter, aux yeux de la justice, à un financement illégal de campagne électorale, de nature à jeter une forte suspicion sur l’élection d’Emmanuel Macron.
Des militants contre l’islamophobie, Anadolu et sa correspondante visés
En se penchant plus précisément sur le travail concrètement fourni par le collectif ILaïc, Anadolu a découvert d’étranges supports, et des modes de communication qui posent question, tant sur le fond que sur la forme.
Fort de ses centaines de milliers d’euros d’argent public, ILaïc s’est en réalité attaqué à la quasi-totalité des figures médiatiques de la lutte contre l’islamophobie en France, assimilant ainsi cet important combat contre les discriminations faites aux musulmans, a du séparatisme.
En se penchant sur ses publications, on note parmi ces cibles, la journaliste et militante féministe antiraciste, Rokhaya Diallo, l’ancien directeur du collectif contre l’islamophobie en France, Marwan Muhammad, le journaliste Taha Bouhafs, et la correspondante d’Anadolu en France, Feïza Ben Mohamed.
Tous les quatre, ont en commun leur engagement dans la lutte contre l’islamophobie et font régulièrement l’objet de menaces de mort en raison de leurs positions politiques à ce propos.
Là encore, les cibles sont identiques, Taha Bouhafs, Rokhaya Diallo, Feïza Ben Mohamed, Marwan Muhammad, de nombreux imams, et autres figures musulmanes médiatiques.
Anadolu est également mentionnée dans plusieurs publications émanant du collectif ILaïc comme du projet "On vous voit", et mise en cause pour avoir permis la diffusion d’articles d’analyse ou d’opinion, concernant l’islamophobie en France.
Les tenants d’une laïcité dévoyée à la manœuvre
En creusant plus en profondeur l’origine de ces comptes qui livrent à la vindicte populaire, les tenants de la lutte contre l’islamophobie en les qualifiant de séparatistes, Anadolu a pu établir des liens formels.
Ces deux structures indépendantes, subventionnées par le CIPDR avec de l’argent, ont en réalité une composante commune: leur vision restrictive et fermée de la laïcité, qu’ils tentent d’imposer.
Si Christian Gravel a, dans un premier temps, nié auprès de France 2 qu’il connaissait les personnes impliquées dans les associations subventionnées par ses soins, il est rapidement revenu sur ses dénégations.
Le patron du CIPDR, qui a donc sélectionné les projets contre le séparatisme, n’est autre que l’ancien directeur de cabinet de Manuel Valls à l’époque où il était maire d’Evry (région parisienne).
Ce même CIPDR, a déjà attaqué, à diverses occasions, Anadolu, pour avoir donné librement la parole à des experts sur la question du séparatisme, mais également concernant l’islamophobie grandissante dans l’Hexagone.
Ses positions hostiles à la Türkiye et à Anadolu avaient poussé le président directeur général de l’agence, Serdar Karagöz, à réagir en rappelant des règles élémentaires en matière de liberté.
Le directeur de la Communication de la Présidence turque, Fahrettin Altun, s’était lui aussi interrogé sur les méthodes du CIPDR, dans une série de tweets.