ÉDITION:

France: Subventions opaques, possibles détournements de fonds et ciblage, le fiasco de la lutte contre le séparatisme

16:5525/04/2023, mardi
MAJ: 28/04/2023, vendredi
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 Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargé de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative. Crédit Photo: Ludovic MARIN / AFP
Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargé de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative. Crédit Photo: Ludovic MARIN / AFP

La notion de séparatisme, omniprésente dans la sphère médiatique comme politique depuis 2020, n’en finit plus de faire polémique.

France 2 révélait fin mars, que le "Fonds Marianne"
,
qui a permis d’attribuer plus de 2,5 millions d’euros à des associations avec pour objet de
"défendre les valeurs de la République"
en combattant les
"discours séparatistes"
, avait potentiellement fait l’objet d’un détournement.

Surfant ouvertement sur l’assassinat terroriste du professeur d’histoire, Samuel Paty, en octobre 2020, à la sortie du collège où il enseignait dans les Yvelines (région parisienne), Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté, annonçait le déploiement de ce fonds, dès avril 2021.


Mais deux ans plus tard, la télévision publique, qui s’est penchée sur l’utilisation de ces sommes astronomiques, et sur les structures qui en ont bénéficié, fait état d’un bien étrange mode d’attribution et d’un fonctionnement qui soulève de nombreuses questions.


Des conditions d’attribution opaques


Comme pour l’attribution de n’importe quelle subvention, le CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation), qui pilote le "Fonds Marianne", a publié un appel à projets à échelle nationale.


Selon un document révélé par France 2, l’initiative vise à
"soutenir des actions en ligne, destinées aux jeunes de 12 à 25 ans et exposés aux idéologies séparatistes".

Très vite, 17 structures sont retenues et se voient partager plus de 2 millions d’euros, pour des
"productions audiovisuelles"
, publiées essentiellement sur les réseaux sociaux, support principal de cette prétendue lutte contre le séparatisme.

Si pour la plupart des associations et organisations bénéficiaires, les montants ne dépassent pas les 100 000 euros, quatre associations ont attiré l’attention, avec des financements qui avoisinent, ou dépassent les 300 000 euros.


Mais dans les faits, le dirigeant du CIPDR, Christian Gravel, refuse encore à ce jour de dévoiler les noms des structures bénéficiaires de subventions, pour garantir
"la sécurité des porteurs de projets"
et leur
"efficacité"
, dit-il, cité par Marianne.

Face aux soupçons suscités par une telle opacité, la députée LFI (la France insoumise), Sophia Chikirou, a adressé, dès novembre, une question au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, restée lettre morte malgré une relance le 23 mars dernier.


Interrogeant le locataire de Beauvau, Sophia Chikirou demande à ce que
"toute la lumière soit faite sur ce dossier notamment en présentant les lauréats, leurs projets ainsi que le montant de leurs subventions et souhaite savoir ce qu'il compte faire pour mettre fin aux manquements d'information vis-à-vis des parlementaires et des contribuables".

Quelle utilisation de l’argent public ?


La question de l’opacité du mode d’attribution, a fini par soulever une autre problématique: celle de l’utilisation de ces fonds, par certaines associations dont l’une en particulier, est administrée par un proche de Christian Gravel et ardent défenseur d’une vision très restrictive de la laïcité: Mohamed Sifaoui.


Parmi les quatre associations ayant décroché les plus grosses subventions, l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire (USEPPM), est celle qui culmine en tête de liste avec 355 000 euros.


Présidée par l’entrepreneur Cyril Karunagaran et administrée par Mohamed Sifaoui, l’association a été financée dans le cadre d’un projet phare: le collectif ILaïc.


Les deniers publics ont servi à ce collectif, qui bénéficie d’une visibilité proche du néant sur les réseaux sociaux, à produire des visuels photos et vidéos, très peu reluisants.


Sur YouTube, le projet aux 355 000 euros affiche 21 abonnés, pour 13 vidéos dont certaines ont moins de 30 vues au compteur, tandis qu’il comptabilise 5 amis sur Facebook, et 144 abonnés sur Instagram.


Mais au-delà de ce maigre bilan, le très controversé Mohamed Sifaoui, et Cyril Karungaran, sont mis en cause par France 2 et Marianne, preuves à l’appui, pour s’être versé des rémunérations très conséquentes, alors que les statuts de l’association mentionnent noir sur blanc que leurs activités ne peuvent faire l’objet d’un versement de salaire.


Ils ont perçu à eux deux 120 000 euros de salaires pour faire fonctionner le collectif ILaïc, avec des versements oscillant entre 3 000 et 3 500 euros mensuels, devenant le plus important poste de dépense de l’association, en toute illégalité.

Face aux révélations du service public télévisuel, la nouvelle ministre déléguée à la Citoyenneté, Sonia Backès, a fait savoir, début avril, à l’antenne de France Info, qu’un signalement avait été fait au procureur de la république de Paris par Christian Gravel, pour qu’une enquête soit diligentée.


La ministre déléguée a par ailleurs saisi l’inspection générale de l’administration
"pour vérifier si les fonds ont été dépensés correctement"
par les 17 associations bénéficiaires.

Mais l’affaire, qui met déjà en difficulté l’Exécutif, revêt désormais une toute autre ampleur, avec la découverte de publications, en pleine campagne présidentielle, de nombreux contenus subventionnés par l’Etat dans le cadre de ce "Fonds Marianne" pour s’attaquer aux dissidents d’Emmanuel Macron.


Mardi dernier, Anne Hidalgo, maire de Paris et ancienne candidate socialiste à la fonction suprême, a fait savoir qu’elle déposait plainte contre X pour des faits de
"détournement de fonds publics et abus de confiance",
après avoir découvert qu’elle avait été visée par une campagne de dénigrement de son action politique, par une association bénéficiaire du fonds.

D’autres candidats à la présidentielle, dont Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour ont eux aussi été vigoureusement attaqués par de nombreuses publications en ligne, produites par l’une des associations subventionnées officiellement dans le cadre de la lutte contre le séparatisme et avec pour mission de défendre les valeurs de la République.


À noter que le détournement de cette subvention pour servir un candidat ou en dénigrer d’autres, peut s’apparenter, aux yeux de la justice, à un financement illégal de campagne électorale, de nature à jeter une forte suspicion sur l’élection d’Emmanuel Macron.


Des militants contre l’islamophobie, Anadolu et sa correspondante visés


En se penchant plus précisément sur le travail concrètement fourni par le collectif ILaïc, Anadolu a découvert d’étranges supports, et des modes de communication qui posent question, tant sur le fond que sur la forme.


Fort de ses centaines de milliers d’euros d’argent public, ILaïc s’est en réalité attaqué à la quasi-totalité des figures médiatiques de la lutte contre l’islamophobie en France, assimilant ainsi cet important combat contre les discriminations faites aux musulmans, a du séparatisme.


En se penchant sur ses publications, on note parmi ces cibles, la journaliste et militante féministe antiraciste, Rokhaya Diallo, l’ancien directeur du collectif contre l’islamophobie en France, Marwan Muhammad, le journaliste Taha Bouhafs, et la correspondante d’Anadolu en France, Feïza Ben Mohamed.


Tous les quatre, ont en commun leur engagement dans la lutte contre l’islamophobie et font régulièrement l’objet de menaces de mort en raison de leurs positions politiques à ce propos.


Par ailleurs, une seconde association, porteuse du projet
"On vous voit"
a, quant à elle, bénéficié de 330 000 euros dans le cadre du Fonds Marianne, mais ses productions suscitent les mêmes inquiétudes que celles du collectif ILaïc.

Là encore, les cibles sont identiques, Taha Bouhafs, Rokhaya Diallo, Feïza Ben Mohamed, Marwan Muhammad, de nombreux imams, et autres figures musulmanes médiatiques.


Anadolu est également mentionnée dans plusieurs publications émanant du collectif ILaïc comme du projet "On vous voit", et mise en cause pour avoir permis la diffusion d’articles d’analyse ou d’opinion, concernant l’islamophobie en France.


L’agence de presse turque est ainsi qualifiée
"d’instrument du soft power turc",
et sa correspondante de
"propagandiste"
tandis que des articles accusant le président Recep Tayyip Erdogan
"d’infiltrer la France"
, sont relayés et plébiscités sans aucune mesure.

Les tenants d’une laïcité dévoyée à la manœuvre


En creusant plus en profondeur l’origine de ces comptes qui livrent à la vindicte populaire, les tenants de la lutte contre l’islamophobie en les qualifiant de séparatistes, Anadolu a pu établir des liens formels.


Sur Twitter,
"On vous voit" partage notamment des articles de presse hostiles à la Türkiye, dont certains rédigés par l’illustre Mohamed Sifaoui, à la tête du collectif ILaïc.

Ces deux structures indépendantes, subventionnées par le CIPDR avec de l’argent, ont en réalité une composante commune: leur vision restrictive et fermée de la laïcité, qu’ils tentent d’imposer.


Si Christian Gravel a, dans un premier temps, nié auprès de France 2 qu’il connaissait les personnes impliquées dans les associations subventionnées par ses soins, il est rapidement revenu sur ses dénégations.


Selon les informations d’Anadolu,
"
On vous voit" est administré par des soutiens de l’association
"le printemps républicain"
, qui s’est constitué à l’initiative de proches de l’ancien premier ministre Manuel Valls, dont la position sur la laïcité, et notamment sur le port du voile, lui a valu d’être qualifié d’islamophobe a de nombreuses reprises durant son mandat.

Le patron du CIPDR, qui a donc sélectionné les projets contre le séparatisme, n’est autre que l’ancien directeur de cabinet de Manuel Valls à l’époque où il était maire d’Evry (région parisienne).


Ce même CIPDR, a déjà attaqué, à diverses occasions, Anadolu, pour avoir donné librement la parole à des experts sur la question du séparatisme, mais également concernant l’islamophobie grandissante dans l’Hexagone.


Ses positions hostiles à la Türkiye et à Anadolu avaient poussé le président directeur général de l’agence, Serdar Karagöz, à réagir en rappelant des règles élémentaires en matière de liberté.


"Les publications d’Anadolu concernant les discriminations et l'islamophobie peuvent ne pas plaire à certains gouvernements. Ces gouvernements, au lieu de nous attaquer, doivent prendre des mesures démocratiques concernant ces sujets, et doivent mettre fin à la surenchère stigmatisante et islamophobe"
, avait pointé le dirigeant.

Le directeur de la Communication de la Présidence turque, Fahrettin Altun, s’était lui aussi interrogé sur les méthodes du CIPDR, dans une série de tweets.


"Pourquoi donc les informations d’Anadolu dérangent-elles autant ? Nous le demandons… C’est donc cela votre conception de la liberté de la presse ?"
avait-il lancé avant de demander clairement à Paris de mettre un terme
"aux pressions sur Anadolu",
et déplorant une
"politique discriminatoire et oppressive à l’égard des musulmans, également sur les organes de presse".

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