La semaine dernière, j’ai reçu une invitation pour participer au congrès annuel de la Jamaat-e-Islami (JI) au Pakistan, suivi d’une conférence internationale. J’ai accepté sans hésiter. Cette année, contrairement aux éditions régulières, la dimension internationale était particulièrement mise en avant, avec des sessions spéciales prévues pour les invités étrangers. Le jour venu, nous avons pris la route vers Lahore. Les portraits de la JI et de son nouveau leader, Naim ur-Rahman, ornaient les avenues,
La semaine dernière, j’ai reçu une invitation pour participer au congrès annuel de la Jamaat-e-Islami (JI) au Pakistan, suivi d’une conférence internationale. J’ai accepté sans hésiter. Cette année, contrairement aux éditions régulières, la dimension internationale était particulièrement mise en avant, avec des sessions spéciales prévues pour les invités étrangers.
Le jour venu, nous avons pris la route vers Lahore. Les portraits de la JI et de son nouveau leader, Naim ur-Rahman, ornaient les avenues, les carrefours et même l’arrière des voitures. Dans cette ville de 18 millions d’habitants, le congrès était devenu un véritable événement. Comme prévu, des savants, intellectuels et responsables politiques venus de tout le monde musulman affluaient. J’y ai rencontré quantité de connaissances de longue date, et nous avons passé quatre jours à échanger.
Les racines et l’évolution d’un mouvement historique
Fondée par Abul Ala al-Mawdudi, la JI a joué un rôle majeur dans la formation de l’identité religieuse et culturelle du Pakistan. Depuis mon plus jeune âge, j’observe attentivement l’évolution de ce mouvement, aujourd’hui encore l’un des plus structurés, institutionnels et influents du monde musulman.
Je l’ai déjà mentionné à plusieurs reprises : après l’abolition du califat en 1924 en La Türkiye, les musulmans du monde entier se retrouvèrent sans direction centrale. Deux organisations transnationales émergèrent pour répondre à ce vide :
– en 1928, l’Ikhwan al-Muslimin en Égypte ;
– en 1941, la Jamaat-e-Islami fondée en Inde par Mawdudi.
En réalité, ces deux mouvements représentent une réponse de dignité face aux discours mensongers selon lesquels les musulmans auraient été
. Leur existence même prouve l’attachement profond des populations musulmanes à la mission que l’Empire ottoman a assumée pendant six siècles.
La base sociale de la JI, issue du Mouvement du Califat en Inde, s’était d’ailleurs mobilisée de manière exemplaire pour soutenir la lutte nationale en Anatolie. L’existence de musulmans hindous enrôlés de force par les Britanniques contre l’Empire ottoman ne diminue en rien cette réalité.
La Türkiye, en héritière du califat, aurait dû libérer ces peuples, pas détruire leurs espérances.
La Jamaat-e-Islami face à la modernité et aux tensions politiques
Sous l’impulsion de Mawdudi, la JI défendait un projet d’édification d’une société islamique, une réforme morale
, l’unité idéologique islamique contre le nationalisme laïque et une posture de civilisation indépendante face à la modernité occidentale. M
awdudi était un érudit, un intellectuel et un acteur politique, doté d’un rôle quasi réformateur dans la pensée islamique.
Mais le terrain sur lequel il œuvrait était extrêmement instable : la création d’Israël dans des terres ottomanes occupées, la partition de l’Inde après une longue période coloniale, et enfin la naissance du Pakistan,
seul État moderne fondé explicitement au nom de l’islam.
Alors que la quasi-totalité des États musulmans naissaient comme États-nations, le Pakistan constituait une exception. Sous la direction politique de Muhammad Ali Jinnah et l’inspiration intellectuelle d’Allama Iqbal, la JI devint un acteur important de ce nouveau paysage. Lorsque l’Inde fut divisée, la JI le fut également, ce qui conduisit le mouvement à développer sa propre ligne,
parfois distincte de celles du Pakistan et de l’Inde.
Dans un contexte où l’État pakistanais oscillait entre projet islamique et modèle national moderne, la JI devint un observateur critique, parfois un correcteur moral. Cet équilibre fragile conduisit à de fortes tensions :
Mawdudi fut emprisonné à plusieurs reprises, notamment lors du mouvement contre les Qadianis en 1953.
Avec la Constitution de 1956, la JI passa du statut de mouvement d’appel religieux à celui de parti politique. Son poids électoral restait limité, mais son influence intellectuelle était immense, notamment dans les universités, la presse et l’éducation.
Sous le général Zia ul-Haq (1977), la politique d’islamisation renforça la JI, dont les cadres accédèrent à d’importants postes publics. Le mouvement connut là sa plus forte proximité avec l’État. Mais cette alliance altéra son identité d’organisation indépendante, et une partie de la population y vit une caution au régime militaire, ce qui limita durablement son ancrage électoral.
Nouvelles dynamiques et nouveau leadership
Après la mort de Zia, la JI réorienta son action vers la politique parlementaire et la
. Elle constata cependant sa faiblesse dans les zones rurales et sa difficulté à mobiliser des foules, tandis que son unique bastion restait la jeunesse universitaire (IJT).
Lors de notre visite, nous avons rencontré le président actuel de l’IJT dans le centre fondé sur un terrain offert par Mawdudi, véritable cœur éducatif et organisationnel du mouvement.
La plupart des dirigeants de la JI y ont été formés, dont l’actuel leader Hafiz Naim ur-Rahman, responsable de la jeunesse entre 1998 et 2000.
À travers l’histoire du mouvement, il apparaît que le nouveau président incarne une rupture : urbain, jeune, ingénieur de formation, il représente une nouvelle génération. Contrairement aux anciens dirigeants souvent issus de milieux ruraux ou de madrasas traditionnelles,
Naim ur-Rahman est un leader urbain, charismatique et activiste, reconnu pour sa capacité d’organisation dans une mégapole complexe comme Karachi.
Cette nouvelle dynamique peut-elle transformer l’hégémonie intellectuelle de la JI, longtemps incapable de se convertir en soutien électoral réel ? La question reste ouverte.
Je poursuivrai mes observations sur le Pakistan et sur la JI dans une prochaine chroniq
ue.
#Pakistan
#Jamaat-e-Islami
#Yasin Aktay
#Lahore
#mouvement islamique
#Mawdudi
#politique pakistanaise
#islam politique
#Naim ur-Rahman
#IJT