La France dans l’impasse: entre dette, blocage politique et colère sociale

Cécile Durmaz
17:073/09/2025, mercredi
Yeni Şafak
Le Premier ministre français François Bayrou et le président français Emmanuel Macron.
Crédit Photo : Ludovic MARIN / POOL / AFP
Le Premier ministre français François Bayrou et le président français Emmanuel Macron.

Le 8 septembre prochain, François Bayrou jouera sa survie à l’Assemblée nationale. En engageant la responsabilité de son gouvernement sur un plan d’économies de 44 milliards d’euros, le Premier ministre a choisi la fuite en avant : transformer un budget contesté en épreuve de vérité. Mais cette vérité risque de lui être fatale.

Un gouvernement déjà condamné


Les oppositions ont rapidement scellé son sort. La gauche radicale, les communistes, les écologistes et le Rassemblement national ont tous annoncé qu’ils voteraient contre la confiance. Le Parti socialiste, arbitre possible, a tranché : il ne soutiendra pas Bayrou. Son sort est donc quasiment scellé, huit mois seulement après son arrivée à Matignon.


Bayrou dramatise l’enjeu :
"Ce n’est pas mon destin qui est en jeu, c’est celui de la France"
. Mais son argumentaire résonne dans le vide. L’opinion est hostile aux mesures d’austérité : gel des pensions, suppression de jours fériés, année blanche fiscale. Selon un sondage Odoxa réalisé pour Le Parisien, près de 84 % des Français s’y opposent.

Un problème plus vaste que Bayrou


La chute annoncée du Premier ministre révèle surtout l’impasse politique dans laquelle est enfermée la France depuis la dissolution de 2024. L’Assemblée nationale, éclatée en trois blocs (gauche, macronistes / centristes et extrême droite), ne produit aucune majorité stable. Après Michel Barnier, renversé en trois mois, Bayrou s’apprête à connaître le même sort. La mécanique institutionnelle de la Ve République, conçue pour éviter la valse des gouvernements, se grippe sous nos yeux.


Même au sein du camp socialiste, aucune main secourable : François Hollande, ancien président de la République redevenu simple député, a annoncé qu’il ne voterait pas la confiance, dénonçant la
"méthode"
de Bayrou et exhortant Emmanuel Macron à désigner dès le 8 septembre un nouveau Premier ministre, capable cette fois de
"faire des compromis"
.

Bayrou se dit prêt à
"négocier"
, mais sa façon de prendre l’opinion publique à témoin en critiquant l’opposition alimente les doutes jusque dans sa majorité. Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a elle-même regretté ses
"mots maladroits"
sur des oppositions
"parties en vacances"
.

À gauche, la radicalité domine : La France insoumise (LFI), qui réclame une présidentielle anticipée, a prévenu qu’elle n’apporterait jamais sa confiance à un gouvernement qui n’assumerait pas un programme de rupture. Autant dire que le champ de manœuvre de Bayrou, déjà réduit à néant, est politiquement inexistant.


La dette, talon d’Achille français


Au cœur de la crise se trouve le poids écrasant de la dette, qui culmine à près de 114 % du PIB. Troisième ratio de la zone euro derrière la Grèce et l’Italie, il place la France dans la zone de vigilance des marchés. Les taux d’emprunt se tendent, la Bourse de Paris recule, et la signature française est désormais assortie d’une prime de risque proche de celle de l’Italie, selon la présidente de la BCE, Christine Lagarde :
"La signature française est évidemment respectée, mais elle est associée à une prime de risque. Et le supplément de coût pour la dette française a augmenté et se trouve juste en dessous de l’Italie"
, a-t-elle observé,
"ce qui n’était pas le cas il y a un certain nombre de trimestres".

Face à cette situation, François Bayrou a lui-même dramatisé les enjeux, allant jusqu’à comparer la France à la Grèce de 2010, au plus fort de sa crise de la dette. Mais cette analogie est largement contestée.

L’économiste Sylvain Bersinger, interrogé par La Dépêche, la juge
"exagérée"
: les finances publiques grecques étaient bien plus dégradées et Athènes dépendait massivement de l’épargne étrangère, là où la France peut encore compter sur une épargne intérieure solide. Selon lui, un défaut de paiement n’est pas à l’ordre du jour et la situation ne saurait appeler l’intervention du FMI. Le vrai risque, à moyen terme, serait une dégradation progressive des finances publiques conduisant à des ajustements plus sévères.

Surtout, Bersinger insiste :
"Sur le fond, la France a un problème avant tout politique : quel que soit le gouvernement, trouver une majorité pour faire voter un budget reste extrêmement difficile. Le vrai blocage est institutionnel, pas économique"
. Une analyse qui renforce l’idée que l’impasse actuelle dépasse largement la question budgétaire et met en cause la capacité même de la Ve République à fonctionner.

Le spectre de la rue


Si les marchés grondent, la rue s’organise. Dès le 10 septembre, un appel à la grève générale soutenu par plusieurs partis et relayé sur les réseaux sociaux menace de paralyser le pays. Les syndicats hésitent encore sur la forme à donner à la mobilisation, mais l’intersyndicale du 1er septembre pourrait servir de déclencheur.


L’histoire récente rappelle que la rue reste un acteur incontournable. Gilets jaunes en 2018, mobilisation massive contre la réforme des retraites en 2023 : chaque tentative d’austérité rencontre un mur social. La France peut accepter des déficits chroniques, rarement des sacrifices imposés au quotidien.


Macron en première ligne


Dans ce contexte, Emmanuel Macron se retrouve encore une fois au centre du jeu. Fidèle à sa ligne, il assure vouloir aller au bout de son mandat jusqu’en 2027, quoi qu’il arrive. Mais ses marges sont infimes.


Certes, il pourrait nommer un nouveau Premier ministre, mais sans majorité à l’Assemblée, celui-ci ne durerait guère plus que ses prédécesseurs. L’option d’un gouvernement technique, parfois évoquée, ne constituerait qu’un sursis : elle repousserait la crise sans la résoudre. Quant à une dissolution, elle paraît la plus périlleuse. L’expérience de 2024, qui a abouti à une chambre ingouvernable, hante encore les esprits et rend ce scénario risqué, voire suicidaire.


Les oppositions, elles, réclament soit la dissolution, soit carrément la démission du président. Mais un départ anticipé de Macron ne réglerait rien : les fractures politiques et sociales demeureraient.


Une impasse systémique


La crise actuelle dépasse les personnes. Elle met en lumière les limites d’un système institutionnel qui, depuis 1958, avait résisté aux tempêtes. Aujourd’hui, la Ve République semble incapable de produire une majorité stable et de répondre à la double pression de la dette et de la contestation sociale.


Le site d’information européen Politico, spécialisé dans les affaires européennes et diplomatiques, souligne que l’hypothèse d’une démission d’Emmanuel Macron provoquerait un séisme politique et diplomatique en Europe, mais ne réglerait en rien l’impasse institutionnelle française. Même un successeur à l’Élysée se heurterait aux mêmes fractures.


Au fond, la vraie question n’est plus : Bayrou tombera-t-il ? Mais : la France peut-elle encore être gouvernée sans réinventer ses institutions et son contrat social ?


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